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Message par Lara Kasabian Dim 17 Sep 2023 - 12:39

Elle était venue avec la nuit.

Femme à la longue chevelure de tempête, à l'élégance aquiline de grand rapace. Surpris (il avait sursauté), Arthur s'était brusquement redressé. Il faut dire que pour lui qui habitait dans les terres, le plus loin possible du rivage, les visites étaient rares. D'ordinaire seul le facteur faisait tout le chemin à travers la lande. Et encore ce n'était qu'une fois par semaine. Le reste du temps il vivait en compagnie de ses chiens, de ses moutons, et de ses fantômes.

Un bref instant lui revinrent en mémoire les histoires de sa grand mère. Tout ces contes insulaires, qui parlaient de lugubre apparitions féminines venues tourmenter les vivants. La femme pourtant, à bien y regarder, semblait tout à fait réelle. Elle se dressait là, seule, à l'entrée de la propriété et l'observait sans dire un mot. Pas d'ici, une étrangère constata bien vite Arthur qui en bon enfant du pays connaissait tout le monde sur l'île. Une touriste peut être. Cela arrivait parfois que des pensionnaires de la Villa s'égarent sur la lande et entrent par curiosité dans sa propriété. Foutus continentaux qui s'imaginaient que l'île toute entière n'était une sorte de club med.

-Vous n'avez pas le droit d'entrer ici. Propriété privée.

Pas commode le Arthur. Taciturne. Et encore moins d'humeur. Du regard il chercha ses chiens, surpris de ne pas les entendre aboyer ou gronder. A sa grande surprise – mais ce ne serait que la première d'une longue liste – ces derniers faisaient fête à l'étrangère. Ils lui tournaient autour en geignant. Se roulaient à ses bottes de grand couturier pour qu'elle leur flatte le ventre. Ce n'était pas normal. Quand à l'étrangère, qui avait superbement ignorée l'injonction du propriétaire des lieux, pour s'amuser quelques temps avec les dogues amoureux, elle releva enfin les yeux pour fixer Arthur. Son regard avait ce quelque chose de perçant, de droit, et de confiant.

-Au village, ils disent toi ancien militaire. Plongeur de l'armée.

Pas un bonjour. Franche, directe, en dépit de son français maladroit. Le temps passant, Arthur apprendrait à s'y faire. Elle était comme ça Lara. Elle avait l'habitude de prendre ce qu'elle voulait. Jamais elle ne demandait la permission. Le monde était son terrain de jeu. Et sa confiance en elle frisait l'arrogance.

-Je vais vous demander de partir.

Elle avait un accent de l'est. Russe, Ukrainienne, Polonaise peut être ? Arthur n'aurait su faire la différence. Elle devait venir de la Villa. C'était obligé. Et Arthur il n'aimait pas trop ces touristes fortunés qui envahissaient l'île. Ici, sur l'ile, la vie des insulaires était dure, âpre. Les habitants étaient comme ces moules qui s'accrochent au récif et luttent à toute heure du jour et de la nuit contre la tempête. Et cela les touristes ne le comprenaient pas. Pas plus qu'ils ne comprenaient que les magnifiques granits roses des falaises portaient en leurs veines sanglantes les cris étouffés de tout ces pêcheurs perdus en mer. Ces paysages majestueux et lugubres qui faisaient le quotidien de l'île avaient été conquis de haute lutte contre les éléments. Ils se méritaient. Des générations s'étaient tuées à la tâche : famines, noyades, guerres, misère pour avoir le droit de contempler un coucher de soleil sur Iroise. C'était leur seul richesse.

Alors que l'on ne vienne pas les emmerder.

-Je veux plonger. Avec toi. Et tu vas m'apprendre.

Elle avait dit cela d'une voix douce, insistante. Et ses yeux, ses yeux clairs étaient comme un gouffre où se perdaient les ombres montantes du crépuscule. Arthur avait frissonné. Plonger. Plonger. Plonger. Comment lui dire, lui expliquer que s'il habitait dans les terres, loin le plus loin possible de la mer c'était pour une bonne raison. Comprendrait elle qu'il avait été démobilisé voilà des années ? Que l'armée l'avait considéré comme inapte à effectuer son métier de plongeur démineur ? Non. La mer il ne voulait plus rien avoir à faire avec elle. Ses chiens, ses moutons, sa misanthropie. Cela lui avait pris du temps mais il s'était reconstruit. Les blessures du passé s'étaient refermées. Et de ce qu'il s'était passé là bas, en opex, ne demeuraient désormais que de vieilles cicatrices. Même les cauchemars avec le temps s'étaient espacés et il avait bon espoir d'un jour parvenir à tout oublier.

-Non. C'est dangereux. C'est interdit. Il y a eu des accidents autour du récif. Et la police...
-Je te donnerai de l'argent. Autant que tu veux. Ce n'est pas un problème pour moi.
-Non, non...
-A la Pension. Tu m'appelle. Tu demandes à parler à Lara.
-Ce n'est pas la peine d'insister...
-Et tu m'apprendras.

A plonger.

Elle était partie. Les chiens l'avaient suivie quelques centaines de mètres sur le sentier avant de revenir à la ferme. Idiots et ravis. Arthur lui n'avait pas bougé. Elle était partie et le crépuscule bien vite l'avait effacée du paysage. Quelque chose pourtant s'était fendu. Cette carapace qu'il s'était patiemment construite fuyait. Au début ce n'était rien. Juste une petite infiltration d'eau. Mais Arthur avait bien passé bien trop de temps dans la Marine, sur des vaisseaux de guerre, pour savoir qu'en mer, la moindre petite cassure peut être synonyme de noyade. Il suffisait d'un trou, d'un tout petit trou parfois à peine plus grand que chas d'une aiguille, pour que l'océan tout entier, avec patience, goutte après goutte, s'engouffre à tout jamais.

Des jours et des nuits.

Arthur n'arrivait pas à dormir. Les cauchemars étaient revenus. Ce soir il y avait de la tempête en mer. Un ciel de plomb plus noir que les abysses avait englouti le Mont Kalvar. Des éclairs blêmes – sortes de spectres – s'insinuaient par intermittences entre les volets disjoints. En sueur dans son lit, Arthur écoutait la pluie tinter sur les ardoises. Il écoutait aussi ses agneaux dont les bêlements tristes se mêlaient aux hululements des rafales à travers la bruyère. Il avait bien essayé pourtant de prendre ses cachets. Mais cela n'avait fait qu'empirer la situation et lui donner des hallucinations. Chaque fois qu'il fermait les yeux, c'était comme si son corps s'enfonçait dans le matelas, coulait vers des profondeurs menaçantes où sommeillaient ses souvenirs de guerre. Là bas, sur les côtes Libyenne, par une nuit sans lune...

-Pension Duchamps, j'écoute.

En dépit de l'heure tardive, la clarté aristocratique de la voix de la standardiste fut une surprise.

-J'ai un message pour une pensionnaire. Une Lara ou Laura, je ne sais plus. Mais dites lui que c'est d'accord. Demain sur le port. Vous lui direz de me rejoindre à mon bateau. Elle ne peut pas le louper. Il s'appelle le Thalassophobia
.
Lara Kasabian
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