Explore - I

L'écume a séché autour des rochers
Mousse verdâtre et conques endormies


- La dame est partie, ce soir ... Marmonne-t-il dans sa barbe. Elle était fâchée ... Triste ...


Les larmes épaisses qui s'accumulent sous ses paupières sans s'écouler
Lui nouent la gorge. Qui sont ces gens ? Pourquoi se criaient-ils dessus ?
Il n'a pas tout compris. Pourtant pendant son rêve, ça lui semblait plus clair.

- Qu'est ce qu'il aurait fallu ?

Accroupi au dessus d'une flaque, les mains dans l'eau glacée, il caresse le sable.

- Il aurait dû la retenir, tu crois ?

Un minuscule petit crabe s'échappe entre ses doigts.
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Une mélodie criarde et familière le tire de sa rêverie.
Il fait nuit sombre car la lune décroit et les bateaux au loin sont devenus des silhouettes étranges et mystérieuses, dont les lumières donnent son aspect particulier a la _ _ _  de la brume.

C'est le nom de son oncle qui s'affiche sur le petit écran et Fanch ne répond pas. Il remet ses gants sur ses mains mouillées, irritées aux petites écorchures par le sel et le froid.
Et il reprend sa route. Il n'a pas envie de rentrer chez lui. Il n'a pas envie de voir son oncle qui va lui faire la leçon.  Peu gêné par l'obscurité, il continue d'avancer à travers les rochers. Ce sont les mêmes depuis toujours. Fanch connaît ceux sur lesquels il fait bien de ne pas glisser, et ceux sur lesquels il ne faut que sauter pour atteindre le suivant.


Il finit par marcher dans la vase, s'y enfonçant à chaque pas, vers la petite plage des vacanciers les plus secrets, cachée dans un creux formé au fil des siècles par les vagues et l'érosion. A marée haute, seul un escalier discrètement enclavé dans la falaise, permet d'y accéder. Depuis l'hôtel. Et en levant les yeux, Fanch est happé par l'énergie, la puissance de la roche ; et se laissant guider, il entreprend de monter une à une les marches, appuyé sur une canne de fortune.


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Ces voix, cette musique ? Qu'il entend, l'ont mené jusqu'en haut de l'escalier, et il voit devant lui la fameuse bâtisse, luxueusement rénovée au fil des ans, devenue le nouveau phare de ce village. La lumière l'attire comme un papillon à la fin de la journée, jusqu'à une véranda et il vient coller ses gants boueux sur la vitre : c'est pour mieux voir à l'intérieur.

A l'intérieur, quelques personnes sont occupées et ne le voient pas, jusqu'à ce qu'une jeune femme qui passait le balais le remarque soudain.

- Hiiiii ! Crie-t-elle. Il y a un type chelou dehors qui se colle à la véranda !

[ Lâchant son balais et sa pelle,
la gamine se dirige vers les cuisines pour héler des collègues. ]

Georges Garvork était venu sur l'île d'Aubenay sans vouloir y rester.
Sa langue maternelle s'accordait mal avec les syllabes asséchées du francais.
Il n'aimait pas l'atmosphère, la vétusté de l'île, loin de sa petite maison verticale d'Elephant and Castle -quartier moyen, mais l'on y prenait le métro non loin, et on se retrouvait à Notting Hill.

Qu'est-ce qu'un ramassement de consanguins pouvait masquer qui ne soit évident aux premiers abords ? Le corps d'un pêcheur malmené par les palmes d'une hélice qu'on maquillait en mystère dans le but de raviver le tourisme local : Garvork ne s'y laissait pas prendre, au contraire de ces rustres insulaires coincés dans leur superstition.

Ce soir, assis dans les fauteuils moelleux de la véranda, il s'était servi un second verre de martini dans la véranda et il attendait.
A quelques pas de la porte d'entrée, une pianiste jouait un drôle d'air qu'il n'avait jamais entendu.

Elle avait des cheveux courts, une tenue noir à la simplicité écrasante, une mine éteinte à filer le bourdon. La liste des convives étaient succincte - il fut, au moins, certain d'avoir reconnu une personnalité monégasque- et plus le temps défilait, plus Garvork se laissait à croire que son client avait perdu le sens des réalités de l'avoir appelé ici. Les gens disparaissaient, ça arrivait tout le temps. Parfois, en laissant une lettre, un mot, un message. Parfois, en silence.

Perdu dans ses pensées, Garvok sursauta soudain. Une employée venait de crier. Il lui fallut un moment pour comprendre. Certains convives quittèrent la pièce, notamment une jolie dame au bras de son compagnon, véritablement bouleversée, disait-elle, à croire que l'homme qui avait maintenant le nez collé à la vitre venait personnellement de la regarder, elle ! -c'est ce qu'elle assurait ! 
Garvok se leva, comme s'il venait d'y voir un signe.
Qui était-il ?

Il n'avait pas remarqué que la pianiste s'était elle aussi figée, puis s'était levée à son tour et s'était s'éclipsée au pas de course.
Quelques minutes plus tard, des silhouettes plus massives arrivèrent vers l'entrée de la véranda, une clé à la main. Garvok se hâta. Il attrapa son manteau pour suivre les deux vigiles : deux semaines qu'il était coincé là, et enfin une piste, plus mince soit-elle, il n'allait pas cracher dessus ! 

Il fallait qu'il puisse l'interroger avant qu'on le foute hors de la propriété... ou bien... 

Garvok venait tout juste de poser ses bottes sur le dallage jouxtant les herbes vertes, humidifié par un début de bruine : mais à sa propre surprise, l'homme n'était plus là....

Les deux vigiles étaient tout aussi circonspects que lui : ils se mirent à le chercher 

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Elle était passée par la porte adjacente non verrouillée . Sous le porche de la véranda, elle avait couru, dérapé, s'était retenu in-extremis à la rambarde noyée par l'obscurité.

Avant que les gardes soient appelés, Meredith fit, peut-être, la chose la plus idiote qu'il convenait de faire à cet instant précis : de dos et dans l'ombre, elle se jeta sur Fanch. Ses bras ceignirent la poitrine de l'homme dans le seul but de le faire reculer vers la porte, craignant autrement qu'il s'échappe et se fasse irrémédiablement intercepter par les vigiles.  
Mais voilà, elle s'était pas attendue à l'effet de son poids sur le sien : dans la boue, alors même que la pluie tombait à présent, ses talons glissèrent sur la terre froide et elle partit en arrière ....   Elle se sentit tomber comme au ralenti.

Le choc dans son dos lui coupa le souffle : ce ne fut rien, en comparaison de la carcasse de l'homme qu'elle se reçut de plein fouet.

Elle relâcha une expiration de douleur. Mécaniquement, ses bras se refermèrent en clé autour du pauvre homme, elle faisait piètre mesure contre la carrure du berger ingénu mais rodé aux longues marches. Elle s'accrocha pourtant, de toute ses forces, s'aidant de ses jambes.

"ne gesticule pas Fanch !! Je suis du village !" s'échina-t-elle à le prévenir, tâchant de le trainer en arrière, à même le sol, vers  la porte de service - comme une limace aux prises avec un gros caillou.

Comment connaissait-elle son nom ??? Roberta, le village, les habitants d'ici, qui ne connaissait pas le pauvre berger de l'île ?!!!
Si les vigiles le coinçaient, c'en était fini de Fanch. Ca, plus les rumeurs douteuses qui l'accablaient, entre noyé et mort suspecte ! Meredith avala de la boue dans ses mouvements, toussa à s'en étrangler le gosier : par un effort surhumain elle lui recouvrit la bouche d'une main, à même le sol.

"Pas un.... mot.... ! ... la... porte !" s'érailla-t-elle à lui expliquer ! Les cheveux plein de terre moite plaqués sur son visage, ses habits noirs empêtrés dans la gadoue, on aurait dit un piaf paniqué sous une flaque de mazout, loin de l'image usuelle de la pianiste discrète et composée de la chère Villa Duchamp...

(que j'suis rouillé... mais c'est reparti)






C'est ainsi qu'inexorablement, Fanch glisse dans la boue. Dans son malheur, il tombe sur le corps de Miss Machin, qui amortit sa chute.
Il faisait encore un peu jour quand tout à l'heure, le gamin commençait à monter les escaliers, mais désormais il fait nuit. On n'y voit plus rien à cause des lumières de l'intérieur qui éblouissent, et Fanch qui se sait en train de se faire kidnapper, n'a pas oublié que si ça lui arrive il doit tout faire pour compliquer la tâche de son agresseur : il gesticule en glissant de plus belle, et commence même à se faufiler hors de son imperméable et il est sur le point d'y arriver, quand : cette voix lui parle, et ce qu'elle lui dit sonne comme un conseil.

Fanch est peut être bête - enfin ça c'est c'que les gens disent - mais il est pas con. Il se tait. Il remarque qu'il a agrippé la femme par le pan de ses manches, et il ne la lâche pas. Il l'a sûrement déjà vue. Ils ont peut être même joué ensemble sur la plage, un jour. L'aide qu'elle lui offre crie sa légitimité profonde, et pourtant quelque part, le laisse dans une sorte de perplexité.


Au village, les gens se méfient de Fanch, parce que ça leur plaît. Ca leur plaît de croire des rumeurs infâmes qui alimentent leur curiosité malsaine et leur besoin de personnifier le mal pour se l'extraire d'eux mêmes. Ca leur plaît aussi de s'imaginer qu'un monstre comme lui court toujours les rues de l'île, Ô Injustice.

Et Fanch, il s'en moque, parce qu'il n'a pas d'ami à part son oncle, donc ça ne fait aucune différence. Et il est habitué, au fait que les gens ne cherchent pas à le connaître, c'est juste normal. C'est même plutôt bien.
Car il y a les autres. Ceux qui sont méchants avec Fanch. Ceux qui lui jouent des tours et lui font croire des choses, pour ne citer qu'eux. Tous jouent avec ses émotions, à fleur de peau, de la joie naïve à l'essence même du désespoir en quelques secondes.

Son regard pâle reflète cette peur, plaquée violemment contre la fille qu'il retient par le pan de ses manches.
- tu...t....tu viens aussi.
C'est un ordre, il ne lui laisse pas le choix. Ni ses mains qui ne déserrent pas, ni son regard qui ne lâche pas.

Les entourloupes, il commence à les connaître, à force : il la pousse dans la direction qu'elle voulait lui montrer.
- tu p-p... vas-y d'abord.

Dans ses efforts, elle était prise entre l'envie de crier et d'éclater de rire : et en pareil moment, c'était sans doute la dernière des choses à faires. Alors elle s'efforça, simplement, de se dégager du mieux possible. Tremblante, pleine de boue, et encore étonnée par sa propre attitude. Comme si aider Fanch, c'était aider les derniers habitants qui disparaissaient sous le roulis des la modernité. Et peut-être parce que voir ce bougre aller en prison ne lui plaisait pas, car il avait, à ses yeux, beaucoup plus le droit d'être ici que n'en avait cette villa toute entière.

Elle frissonna, leva ses mains en l'air par bonne volonté quand il la poussa en avant.

"D'accord, d'accord..." murmura-t-elle, avec de grands yeux. Elle entra dans la pièce, à travers la porte arrière. Sitôt Fanch eut-il glané assez de courage pour la suivre qu'elle se dépêcha de tourner la serrure de ses doigts fébriles. Là, elle colla son oreille à la porte. La sécurité était en train de déverrouiller l'entrée de la véranda.  Elle se laissa le temps de fermer les yeux en soupirant.
Le temps lui parut interminable à mesure qu'elle les entendait fouiller les bosquets, sur le gravier qui crissait à chacun de leur passage.

Finalement, quand ils s'éloignèrent définitivement, elle se retourna, croisant ses bras sur sa poitrine. Elle le regarda, de bas en haut. Il n'était pas plus reluisant qu'elle. Sans un mot, elle alla chercher dans un carton : cette remise, elle la connaissait quasi par coeur, c'est ici qu'elle venait quand il lui fallait cuver son alcool hors du regard de Rosetta. D'un geste dextre, elle lui balança une large couverture qui retomba sur sa tête mouillée. Puis elle en prit une pour elle, et se mit à se sécher les cheveux.


- Qu'est-ce que tu faisais là Fanch ?

Pas de reproches dans son ton. Juste de la lassitude. Elle ne savait plus si c'était l'île, la Villa, ou les deux à la fois qui commençaient à fatiguer ses pensées... un peu plus chaque fois, il lui semblait que la mer roulait dans son esprit, ne la lâchait jusque dans la nuit, et qu'à travers quelques notes de musique, au tréfonds de son subconscient, quand elle se voyait aller et venir sur les touches elle se rappelait alors du comportement similaire des vagues qui paraissaient s'emparer du mouvement de ses doigts, à moins que c'eut toujours été là... mais qu'elle commençait seulement à en devenir parano.

Tournant la serviette pour trouver un coin plus sec du tissu, elle entreprit d'enlever le masque du boue sur son visage

- Vraiment... je me demande, pourquoi venir jusque là... qu'elle répéta.

Par là, elle voulait parler de la villa, c'était ce qu'elle sous entendait. Elle ne voyait pas ce qu'il aurait pu y trouver d'intéressant