grand écart___ (PV Ayano)

2:30 am.12 mai 2023.

Ayano ne dormait pas.
Jet-lag, insomnie et angoisse tournaient dans l'esprit de la Japonaise.

Elle avait posé ses valises la veille alors que le soleil débutait à peine son ascension dans le ciel gris. La demoiselle s'était enfermée dans sa chambre toute la journée et tenta à nouveau de se forcer à écrire.

Malheureusement, dès que la nuit avait recouvert l'île de son noir linceul, la page d'Ayano était restée blanche. Toile immaculée dépeignant son échec.

Agacée, Hayashi s'étira sur sa chaise et fit craquer ses articulations avant de se lever d'un bond.

Bien qu'il était deux heures du matin, la jeune femme voulait faire un tour dans l'enceinte de la villa pour se dégourdir ses jambes endolories par de longues heures restée inactives.

Ayano réajusta sa jupe, remit ses converses en faisant attention de ne pas filer ses collants et passa un gilet noir sur ses épaules tout en rabattant sa capuche sur la tête afin de protéger un minimum son visage du froid et son identité.

La Japonaise arpenta les couloirs de la villa à pas de loups pour ne point déranger les autres résidents et descendit une série d'escaliers pour rejoindre le salon.

C'est avec étonnement qu'Ayano vit qu'elle n'était pas seule dans la pièce pourtant silencieuse.

Une jeune femme était assise sur un fauteuil, le visage tourné vers la fenêtre, les yeux mi-clos, le menton retombé contre la poitrine, ses cheveux ébouriffés aux quatre coins de son visage... Elle contrastait au sein de ce salon si agréable, si distingué.

Intriguée, Ayano s'approcha de la jeune femme assoupie et, voyant son visage amoché... Paniqua quelque peu.

Elle mit de côté sa politesse japonaise et posa sa main sur l'épaule de l'inconnue et lui murmura avec une voix douce mais avec un français teinté d'un accent nippon très remarquable.

-« Madame... Vous allez bien ? Vous semblez blessée... Je peux vous aider ? »

Trois petits enfants traversaient la marelle.

A la place d'un caillou, c'était un oursin qu'il fallut lancer. Les deux autres enfants venaient déjà d'atteindre le ciel. Les bras ballants, Meredith resta silencieuse. Ils s'amusaient sans plus la calculer, au niveau de la case gagnante, avec des billes d'une couleur indéfiniment jolie. Meredith voulut les rejoindre et avança d'un pas en oubliant de passer la case 1 à cloche-pied : elle s'enfonça alors immédiatement, comme on rate une marche. Le plafond devint son sol. Elle entendit une forme lui dire  : Madame... Vous allez bien ?  Elle le jurait, il lui disait : Je peux vous aider ?  Craignant trop le vide dans lequel elle tournoyait, Mery se raccrocha à la forme qui avait parlé.

Il lui fallut plusieurs secondes, repliée contre cette personne, pour lentement émerger, et prendre conscience de là où elle se trouvait. Surtout, elle comprit que la forme sur laquelle elle avait jeté son dévolu était une personne très réelle...

Par reflexe, Meredith leva les mains en l'air pour s'excuser,  prise sur le fait.  Sa tête prise sous un étau, visage baissé, cheveux flottants dans le vide, elle n'était pas tout à fait soustraite à l'alcool. Elle préféra garder les yeux fermés un petit moment... Un élancement douloureux pulsait dans sa joue droite comme un venin.

— Des glaçons. regretta-t-elle de demander. Les sourcils froncés, elle rabaissa lentement les mains.   — Sauriez-vous me ramener une poche de glaçons ?

A contrecœur, Mery se fit la remarque du langage soutenu qu'elle employait, y compris dans son état  ... Par manque d'options, elle se laissa reposer contre le dossier du fauteuil. Être à côté de la fenêtre du salon ne l'intéressait plus, elle pensait plutôt aux draps de son lit- elle soupçonnait que Rosetta l'avait laissée là exprès, histoire de lui filer une bonne leçon.

Sous une grimace, Meredith releva une paupière. A travers le flou de sa vision, elle discerna une silhouette qui lui rappela quelque chose de très discret, comme une petite souris. Certaines personnes étaient délicates, cassables. Ou bien était-ce l'alcool qui parlait pour elle... Elle espérait que oui, une illusion, fausse première impression : c'est que toute personne à l'enveloppe douce, sur cette île, ne faisait pas long feu.

Ayano avait entendu les murmures de la douleur avant même d'apercevoir la silhouette alanguie dans le fauteuil.

Les yeux clos, la femme inconnue était en proie à une torpeur agitée, son visage marqué par les stigmates d'un récent traumatisme. Ayano n'avait pas besoin de plus mots pour comprendre la détresse qui habitait cette étrangère.
Sans hésiter, la romancière se dirigea vers une pièce adjacente au salon.

Elle fouilla avec diligence la petite pièce attenante au salon, ses doigts délicats glissant sur les étagères et explorant chaque recoin.

Le silence régnait, ponctué seulement par le léger frémissement du tissu de sa jupe.

Les rayons de lune, à travers les rideaux à moitié tirés, tricotaient des motifs argentés sur le sol en bois patiné.

Les yeux noirs de la japonaise scrutaient les étagères où reposaient des bibelots et des livres anciens, cherchant désespérément une trousse de secours.

Elle se maudissait de ne pas avoir pris soin de repérer un tel objet à son arrivée dans cette demeure isolée.

Chaque seconde s'étirait, amplifiant l'urgence de la situation.
Le souffle d'Ayano était devenu plus rapide, sa poitrine se soulevant et s'abaissant rythmiquement.

Elle se sentait prise dans un étau de responsabilité envers cette inconnue affalée dans le salon.

Pourtant, malgré ses efforts, aucun signe de la trousse de secours. La frustration s'insinuait lentement dans son esprit, mais elle ne pouvait se permettre de fléchir. Elle devait trouver une solution, coûte que coûte.

Avec une détermination résolue, la demoiselle se dirigea dans la cuisine, l'espoir de dénicher au moins un sac de glace toujours intact.

L'endroit était une pièce grise métallisée où la lumière blafarde des réfrigérateurs se mêlait à la froideur métallique.

Ayano ouvrit le congélateur et saisit un sac de légumes surgelés, sentant le froid mordre sa peau à travers le plastique.

De retour dans le salon, elle s'approcha de l'inconnue avec une douceur presque maternelle.

La romancière déposa délicatement le sac de gelé sur le visage tuméfié de la femme batgue, espérant apaiser ne serait-ce qu'un peu la douleur qui la tourmentait.

-« Comment vous appellez-vous, madame ?»

Sin français était hésitant, ponctué par le stress de la situation.

Le regard dans le vide, elle posa ses coude sur ses genoux, penchée en avant. Elle était calme. Calme et, en même temps, chamboulée par son réveil précipitée. Elle suivait des yeux la femme. Pendant un moment - court moment- elle se demanda si elle n'était pas encore au proie aux vapeurs du rêve, d'une hallucination quelconque. Dans la nuit du salon sans bruit, voir se mouvoir cette demoiselle avait un quelque chose de féérique...

Sans doute pour pallier au doute, celle-ci lui tendit une poche très concrète de légumes surgelés.
Alors qu'elle détaillait la dame, une expression de stupeur s'empara de Meredith : la voir si bousculée par son état était étonnant, très étonnant... est-ce qu'un habitant de ce village avait jamais semblé inquiet pour son sort ? Elle fronça des sourcils, la dévisagea d'autant plus. Un sourire sur ses lèvres, un peu bancal, tiraillé par la surprise et la torpeur.

- Merci, ce n'est rien vous savez, j'ai juste trop bu... et comme une enfant qui offre l'air courageux, elle redoubla son sourire, le sac sur sa joue. Elle ne put réprimer un grognement cela dit, sous un rire coupable.
Piquée d'un rappel de mémoire - son cerveau travaillait au ralenti- elle tendit sa main libre après quoi, d'un geste plus ou moins incertain. Le débit dans la phrase de l'autre ne lui avait pas échappé, mais elle n'en tenait pas rigueur.

— Mery.. je veux dire Meredith, mon nom c'est Lusignan... Je m'appelle Me-re-dith Lusignan.

Oui, clair, limpide... à croire qu'elle avait oublié comment elle s'appelait. Un regard plus long, portée sur l'inconnue, toujours étonnée.

- Que faites-vous ici ??? demanda-t-elle alors. Et non pas comme avec cette curiosité polie accoutumée au ton d'une conversation. Plutôt avec incompréhension, comme si ça ne faisait pas sens. Qu'une femme qui semblait aussi intègre et attentionnée qu'elle n'avait rien à faire dans cette villa de malheur.

Qu'importe qu'on lui dise que la Villa était un havre candide, Meredith la voyait, blanche comme un cadavre, écrasante sur le monde alentour, un bâtisse creuse, par ses fenêtres et son indifférence, faisant de l'ombre à l'île, elle portait en son sein les gens suffisamment malhonnêtes pour avoir fait fortune.

Avec une pointe d'amertume, elle retourna le sachet, accueillant le froid cinglant comme une correction bienvenue.
Secrètement, elle espérait que cette inconnue reste un petit peu... Accoutumée au vide, ce n'aurait pas été désagréable, que de combler cette nuit d'une présence nouvelle et sympathique. Autour, les ombres du salon rapetissaient la pièce. Meredith avait toujours apprécié la nuit, elle formait un paysage nouveau où chaque chose vue maintes fois devenait soudain biscornue, presque inconnue de notre mémoire.

— N'y restez pas trop longtemps, je vous le dis. Il y a tant à voir, tant à connaître, vous avez le monde à votre portée... Ici, c'est un tombeau à ciel ouvert. finit-elle par enchainer, s'adossant dans un soupir. Pas tout à fait lucide, encore un peu saoule, sans doute, mais définitivement sincère.

Le regard de Meredith se leva vers elle, un sourire bancal étirant ses lèvres. Elle tenta de minimiser la situation en expliquant sobrement qu'elle avait trop bu. Ayano ne put réprimer un grognement involontaire sous le rire coupable de Meredith. Elle saisit la main tendue de cette dernière.

-"Mery... je veux dire Meredith, mon nom c'est Lusignan... Je m'appelle Me-re-dith Lusignan."

Un prénom qui résonnait dans l'air du salon, une harmonie étrange avec la situation. Ayano sentait que cette rencontre n'était pas le fruit du hasard, que quelque chose de plus profond se tramait.

-"Que faites-vous ici ?" demanda Meredith, son ton empreint d'incompréhension.

Ayano hésita un instant, puis répondit avec franchise, son français un peu hésitant.

-"Je suis ici pour écrire, pour découvrir l'histoire de cet endroit et retrouver de l'inspiration pour une histoire digne de Lovecraft. Mais je ne m'attendais pas à une rencontre aussi... inattendue."

La romancière chercha le regard de Meredith, un échange silencieux entre deux femmes liées par les circonstances. Elle sentait que cette nuit réservait des révélations bien au-delà de ce qu'elle avait imaginé.

Ayano faisait de son mieux pour être douce et polie avec son interlocutrice. Elle était ivre et avait subit des violences... Même si la japonaise ne pouvait soigner efficacement ses blessures, elle se fit un devoir de rester présente pour la française.

-"N'y restez pas trop longtemps, je vous le dis. Il y a tant à voir, tant à connaître, vous avez le monde à votre portée... Ici, c'est un tombeau à ciel ouvert."

Meredith conclut ses paroles avec une sincérité brutale. Ayano, plongée dans la profondeur de ce regard, ressentait la haine qu'avait la jeune femme pour cet endroit.

L'asiatique ressentit un frisson lui parcouruir la colonne vertébrale, un écho de vérité dans les paroles de la femme assise devant elle.

Elle prit conscience que cette villa isolée, bien qu'impressionnante de par son architecture, cachait probablement des histoires sombres et des secrets enfouis.

Lorsque Meredith conclut son avertissement, Ayano sentit le besoin de répondre, de partager un peu de son propre ressenti face à cette découverte.

Elle esquissa un sourire doux, voulant apporter un peu de réconfort à cette étrangère qui, malgré son apparente assurance, portait le poids de la solitude.

-"Je comprends, Meredith. Chaque endroit a ses ombres, ses mystères. Mais... Je voudrais les découvrir... Cela pourrait m'aider à surmonter ma page blanche et calmer mon éditeur..."

La romancière tendit doucement sa main vers Meredith, une invitation au réconfort et à la douceur d'une présence. La chaleur de la paume de la japonaise se mêla à celle de Meredith, un geste universel qui transcendait les barrières linguistiques et culturelles.

-"Nous avons le monde à explorer, même dans ce tombeau à ciel ouvert. Et parfois, c'est dans l'obscurité que l'on trouve les étoiles les plus brillantes."

Elle serra délicatement la main de Meredith, voulant lui transmettre un peu de cette confiance qu'elle cherchait à insuffler dans l'atmosphère. Les ombres pouvaient être intimidantes, mais Ayano croyait en la puissance de la lumière pour les dissiper, même dans les endroits les plus reculés.

"Ah..." dit-elle, pas tout à fait un mot, pas tout à fait un soupir de dépit. Pourquoi les gens avaient-ils cette propension de s'arrimer aux lieux maudits ?
Pourquoi diable ne pas profiter d'un monde superbe sans sombres mystères qui iraient briser les esprits ?
Pourquoi s'approchaient-ils toujours des abimes ?

Les étoiles ? Mais Meredith n'en avait jamais vu ici bas, toujours dans le ciel, inaccessibles.

Son sac de petit pois contre sa face, elle la dévisagea, un peu émerveillée par son aura et le contact de sa main, avec  beaucoup de concentration, car encore saoule. Mais aussi parce qu'elle la trouvait superbe, à bien des égards, comme un personnage de livres, elle aussi, très étrangère à cette pièce.

"Lovecraft hein... Lovecraft haha..." Cet homme devenu fou ? Elle lui tapota la main d'une façon un peu paternaliste. "Voilà qui est parlé... je pourrais vous en dire dire plus sur ce lieu maudit... pouquoi pas... vous êtes vraiment magnifique... " elle l'avait rajouté sans gêne, l'alcool aidant.

"Oh Meredith, que faites-vous là !" Une employée de la Villa venait de les trouver. Les yeux hagards, elle parut visiblement tendue de trouver la pianiste avec une cliente - Meredith était réputée par ses beuveries qui initiaient des débuts de scandales, y compris auprès des clients. Elle s'empressa de s'approcher des deux dames dans le noir de la pièce encore endormie sous la chappe de l'heure trop matinale.

"Je.. Bonjour Madame. Notre pianiste ne vous importune pas ?" s'enquit-elle, tandis que Meredith offrait déjà à l'employée un sourire exagérément jovial. Voilà que la pianiste décida de se lever, d'une façon très gauche. Problème technique, elle tanguait méchant : elle alla s'appuyer contre la cliente comme on le ferait contre un mur résistant ; le sachet de surgelé tomba par terre.

"Tout va bien Julie... tout va très bien, nous parlions livres." murmura Meredith. Ses pensées s'embrouillaient et elle avait encore un peu la nausée... Dans un soupir fatigué, elle s'accrocha alors au bras de l'écrivaine : elle se serait bien allée à poser sa tête sur son épaule pour mieux s'endormir en position debout...

L'employée porta une main à sa bouche, interdite. On pouvait lire entre ses traits

"problème, début de problème !! Je fais comment pour les séparer ? Si elle lui tombe dessus ? Si elle lui vomit dessus ?!! On ne peut se permettre une publicité mauvaise."

Elle envoya à la cliente un petit regard désolé, et acquiesça gauchement... car que pouvait-elle d'autre ? Peut-être réveiller l'intendante ? Oui, elle ne voyait que cette solution...

Ayana sentit ses oreilles rougir lorsque Mérédith lui dit qu'elle était magnifique... Le feu de la gène commençant aussi à prendre sur ses joues.

Son coeur battait fort, menaçant de rompre sa cage thoracique.

La demoiselle sourit timidement à son interlocutrice et toucha délicatement son épaule avec sa main valide avant de lui murmurrer :

-"Je serais ravie de discuter de tout cela derrière un café, Mérédith... Vous êtes aussi une belle femme."

Une employée de la Villa les découvrit. Les yeux légèrement écarquillés, elle semblait visiblement tendue en trouvant la pianiste en compagnie d'une cliente.

S'avançant rapidement dans la semi-obscurité de la pièce encore ensommeillée par l'heure matinale, elle s'adressa aux deux femmes.

-"Oh Meredith, que faites-vous là? ! Je... Bonjour Madame. Notre pianiste ne vous importune pas ?"

Meredith afficha immédiatement un sourire exagérément jovial en direction de l'employée. Elle se leva de manière maladroite, oscillant dangereusement. Un problème technique semblait affecter sa stabilité, et elle finit par s'appuyer maladroitement contre la cliente, comme si elle cherchait un soutien. Dans la confusion, son sachet de surgelés tomba au sol.

-"Tout va bien, Julie... tout va très bien, nous parlions livres."

Murmura Meredith... Dans un soupir fatigué, elle s'accrocha au bras d'Ayano.

L'employée, la main portée à sa bouche, la regarda avec incrédulité.

L'écrivaine prit doucement le bras de Meredith et répondit à l'employée avec un sourire timide, exprimant un accent japonais charmant :

-"Madame, Meredith ne me dérange pas... Je vais la reconduire dans sa chambre."

Caressant doucement et tendrement le bras de Meredith, Ayano lui dit avec prévenance :

-"Je vais vous y amener... Vous me montrez le chemin ?"

La japonaise poussa doucement Meredith, tentant de la guider avec précaution vers les chambres.

Hayashi avait bonne espoir de pouvoir rejoindre le silence apaisant du couloir aux côtés de Mérédith.

La lueur matinale filtrait à travers les rideaux, éclairant faiblement le chemin vers la chambre. Ayano maintenait un contact doux mais ferme, assurant le confort de Meredith dans chaque pas.